Le sujet de litterature 2 - au Bac L 2010 et son corrigé
Pascal
Question 1
Pourquoi peut-on dire que le divertissement revêt une importance particulière dans les liasses des Pensés qui figurent à votre programme ?
Question 2
Un critique affirme que la lecture des Pensées s¡¯apparente à « une extraordinaire plongée dans les ténèbres ». Vous commenterez ce jugement en vous fondant sur votre lecture des liasses figurant au programme.
Corrigé
Le divertissement pascalien : une importance considérable dans les Pensées
Divertissement.
Quand je m¡¯y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s¡¯exposent, dans la cour, dans la guerre, d¡¯où naissent tant de querelles, de passions, d¡¯entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j¡¯ai découvert que tout le malheur des hommes vient d¡¯une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s¡¯il savait demeurer chez soi avec plaisir, n¡¯en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d¡¯une place. On n¡¯achètera une charge à l¡¯armée si cher, que parce qu¡¯on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu¡¯on ne peut demeurer chez soi avec plaisir.
Mais quand j¡¯ai pensé de plus près, et qu¡¯après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j¡¯ai voulu en découvrir la raison, j¡¯ai trouvé qu¡¯il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.
Quelque condition qu¡¯on se figure, si l¡¯on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde, et cependant qu¡¯on s¡¯en imagine, accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher. S¡¯il est sans divertissement, et qu¡¯on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu¡¯il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables ; de sorte que, s¡¯il est sans ce qu¡¯on appelle divertissement, le voilà malheureux et plus malheureux que le moindre de ses sujets, qui joue et se divertit.
Blaise Pascal, Pensées, (éd. Brunschvicg n¡Æ 139)
Selon Jean Mesnard dans les Pensées de Pascal, Pascal a probablement été influencé par Montaigne et par la lecture d¡¯un chapitre des Essais qui traite de la « diversion », pour l¡¯élaboration de sa définition du divertissement. Les deux mots divertissement et diversion ont une étymologie très proche l¡¯un de l¡¯autre ; il s¡¯agit pour l¡¯homme de se fuir, volontairement ou non, de donner le change, de s¡¯évader d¡¯une réalité jugée lourde ou décevante mais aussi de s¡¯éloigner de l¡¯essentiel¡¦
Le divertissement : une façon de nous éloigner de nous-mêmes et de Dieu :Pour Montaigne, la diversion est une notion plutôt positive, « pour celui qui souffre, faire diversion à sa douleur, c¡¯est à dire éviter d¡¯y penser, permet de moins souffrir ». Cela permet de trouver un peu de paix. Le divertissement au sens pascalien est beaucoup plus négatif, Pascal semble réfuter la notion de Montaigne et explique dans la partie des Pensées qui s¡¯intitule « Misère de l¡¯homme sans Dieu » que le divertissement est le moyen qui nous détourne de nous-même, qui nous empêche de regarder la réalité en face. Dans le fragment 168-134, il nous dit : « les hommes n¡¯ayant pu guérir la mort, la misère, l¡¯ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux de n¡¯y point penser ».
Pascal désigne par divertissement toutes les activités qui nous évitent l¡¯ennui et qui nous empêchent de réfléchir sur nous-même. Il considère les loisirs tels que la chasse, le jeu ou la danse comme des divertissements, ainsi que toutes les activités dites « sérieuses » comme la guerre, la politique ou la recherche scientifique. Sans le divertissement l¡¯homme serait accablé par la petitesse et la peur de mourir, il ne connaîtrait pas un instant de bonheur et de repos.
Le divertissement : une lutte contre l¡¯ennui : Pour Pascal l¡¯ennui est une « misère sans cause ». Dans le fragment 139-136, pour lui « tout le malheur des hommes vient d¡¯une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ». La raison qui fait que l¡¯homme ne peut pas rester face à face avec lui-même, c¡¯est qu¡¯alors il prend conscience de son malheur existentiel dans l¡¯expérience de l¡¯ennui qui entraîne nécessairement la tristesse, le désespoir. C¡¯est pour échapper à cela que l¡¯homme se jette dans l¡¯agitation qui le détourne de ses préoccupations existentielles et de sa condition de mortel. Le divertissement est le mouvement qui nous entraîne hors de nous. Nous préférons les tourments d¡¯un emploi, d¡¯une charge, d¡¯affaires plutôt que de penser à ce que nous sommes, d¡¯où nous venons. « Le divertissement devient un principe universel d¡¯explication de l¡¯activité humaine » selon Jean Mesnard.
Pascal illustre ses idées, ses thèses d¡¯exemples. Entre autre, il nous donne l¡¯exemple du roi qui « occupe le plus beau poste du monde » et qui peut se procurer toutes les satisfactions. Ce roi est entouré de courtisans qui le divertissent et l¡¯empêchent de penser à lui-même, car s¡¯il se retrouve seul face à lui-même, il sera aussi malheureux qu¡¯un autre homme. La cour est le lieu où se tiennent les deux formes du divertissement, on y traite les grandes affaires mais aussi c¡¯est le lieu des plaisirs et des jeux par excellence. Pour Pascal c¡¯est le modèle de la vie humaine en général.
Le divertissement, mise en valeur d¡¯une contradiction : Pascal met en évidence une contradiction dans cette idée de divertissement, en effet, l¡¯homme s¡¯agite parce que le repos lui est insupportable mais paradoxalement selon le philosophe dans l¡¯agitation même il y a une aspiration profonde au repos. Pascal illustre son idée avec l¡¯exemple du chasseur.Un chasseur pense que le lièvre est le but final de sa chasse et que le plaisir de le posséder lui fait accepter toutes les fatigues qu¡¯il se donne pour cela. Mais pourtant il ne voudrait pas l¡¯avoir acheter, donc l¡¯objet qu¡¯il cherche ne le satisfait pas. C¡¯est plutôt la quête qui est l¡¯objet du désir. Il croit sincèrement chercher le repos et ne cherche en fait que l¡¯agitation. L¡¯agitation de tout cela et l¡¯illusion du repos à venir sont liées dans l¡¯idée du divertissement. Si l¡¯on atteint l¡¯objet désiré, l¡¯ennui suivra toujours et on tentera de réaliser d¡¯autres désirs... Pascal qualifie de vanité le fait de penser que la possession des choses que les hommes recherchent puisse les rendre heureux. Tout cela met en évidence la double nature des hommes qui aspirent au repos mais qui ne parviennent pas à s¡¯en satisfaire. Pascal explique ainsi cette double nature, fragment 139-136 : « Ils ont un instinct secret qui les poussent à chercher le divertissement et l¡¯occupation au-dehors, qui vient du ressentiment de leurs misères continuelles ; et ils ont un autre instinct secret, qui reste de la grandeur de notre première nature, qui leur fait connaître que le bonheur n¡¯est en effet que dans le repos et non dans le tumulte ». Les hommes cherchent le repos à travers l¡¯agitation. Avec l¡¯expression « la grandeur de notre première nature », Pascal fait référence au pêché originel, au paradis perdu.
Mais
Le divertissement est indispensable !
Parce qu¡¯il procure de la joie : bien qu¡¯il condamne le divertissement, Pascal reconnaît, au fragment 139-136, que « Sans le divertissement il n¡¯y a point de joie ; avec le divertissement il n¡¯y a point de tristesse ». Mais le bonheur procuré par le divertissement est précaire, fragile car il dépend des « mille accidents, qui font les afflictions véritables ».
« La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement ; et cependant c¡¯est la plus grande de nos misères » nous explique Pascal, fragment 171-414, pour montrer le caractère paradoxal du divertissement.
Parce qu¡¯il permet de nous réfugier et de nous protéger de nous-mêmes : selon Pascal c¡¯est l¡¯homme sans Dieu qui se livre au divertissement et qui oublie sans la guérir sa misère profonde. Le divertissement est un refuge, il permet de fuir, d¡¯échapper à nous-même, à des préoccupations existentielles inévitables si nous nous retrouvons seul, face avec nous-même.
Parce qu¡¯il est une illusion qui permet de rendre le réel supportable : l¡¯homme à travers des « facultés trompeuses » tel que l¡¯imagination ou des activités ludiques mais aussi très sérieuses, tente de se fuir, d¡¯échapper à la conscience de la misère, de la mort, idée insupportable pour l¡¯homme. L¡¯imagination nous permet de fuir le présent, de nous détourner de ce que nous sommes réellement, cette « superbe puissance, ennemie de la raison » pour Pascal nous aide à nous fuir, à nous perdre encore avec le divertissement.
Conclusion : Le divertissement est la seule solution usuelle au malheur radical de la condition humaine mais il s¡¯exerce au détriment d¡¯une volonté importante qui consiste à se rapprocher de Dieu.
Les pensées, une plongée dans les Ténèbres?
Pascal un fanatique du pessimisme, un explorateur de ténèbres dans ses Pensées?
Face au pessimisme dont les écrits de Pascal pourraient faire preuve, Voltaire lui reproche de montrer l'homme sous un jour odieux et ironise, en déclarant qu'il ne voit personnellement aucune raison d'entrer dans un tel désespoir ! Au Siècle des lumières, Pascal est considéré comme un fanatique. "J'ose pendre le parti de l'humanité contre ce misanthrope sublime" (7) s'écrie encore Voltaire.
1) La part de ténèbres...
Pascal déplore l''homme comme creux et déplore sa vanité, ce vide spirituel. Mais l'auteur des 'Pensées' ne se place pas pour autant en donneur de leçons. S'il condamne notre besoin permanent d'honneurs, de jeux et de distraction, de "divertissements", c'est qu'il observe que ce goût fait notre malheur. Incapable de demeurer en silence et en repos dans une chambre, poursuivant au contraire le bruit et l'agitation, l'homme place sa félicité dans des plaisirs fragiles. Il se détourne ainsi de la pensée, certes insupportable mais nécessaire, de sa finitude. Il court vers le précipice en plaçant devant lui quelque chose pour ne pas le voir (fragment 198). Pourtant Pascal n'échappe pas à la règle, confiant que "le silence éternel de ces espaces infinis [l]'effraie". (5) Partout, il ne distingue que ténèbres, obscurités, néant. Même le portrait qu'il dresse de Jésus montre un homme dans "l'horreur de la nuit" précédant sa crucifixion, délaissé à la colère de Dieu, profondément seul et qui avoue : "mon âme est triste jusqu'à la mort". Néanmoins, il serait faux de faire de Pascal un ennemi du genre humain. Dans le célèbre fragment du roseau pensant (231), le philosophe affirme même que l'homme est plus noble que l'univers qui le tue. Car il sait qu'il meurt et l'univers n'en sait rien. Pascal va plus loin en affirmant que "le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes ne valent pas le moindre des esprits".
2) Une solution: la Grâce
On ne trouve Dieu que parce qu'on le cherche, il n'est pas donné. Il attend, silencieux et secret, une démarche volontaire de la part des hommes, un acte de foi. C'est pourquoi le monde selon Pascal est un monde tragique. Dieu est toujours mais ne paraît jamais, il faut le mériter. Utilisant des images fortes, s'adaptant à son destinataire, Pascal évoque une île déserte effroyable sur laquelle on aurait transporté un homme endormi et qui s'éveillerait sans connaître le moyen d'en sortir : tel est l'homme sans Dieu, égaré dans un recoin de l'univers.
La foi est la solution: on se souvient que la nuit du 23 novembre 1654, Pascal connaît une extase mystique qui entraîne sa conversion définitive. Il coud dans ses vêtements son Mémorial qu'il n'enlèvera plus jamais. Il y a inscrit les mots "Feu", "Joie, joie, joie, pleurs de joie", qui se retrouveront en exergue des 'Pensées'. Cette foi ardente transparait dans tout le texte. Seul remède contre la misère spirituelle, le Dieu de Pascal est davantage une aspiration qu'une certitude. Pascal se veut proche des opinions populaires qu'il estime saines, et condamne les moeurs laxistes des jésuites. Comme les protestants, il croit au caractère imprévisible et aléatoire de la Grâce : Dieu accorde son secours gratuitement aux élus, sans lien direct avec leurs actes. Peut-être est-ce d'ailleurs pour le mieux car, à en croire Pascal, en ce qui concerne les hommes, il n'y en a pas un pour racheter l'autre.
Conclusion: Les Pensées ne sont donc pas une extraordinaire plongée dans les ténèbres mais une tentative pour débusquer la lumière et la montrer, donner un sens à la trajectoire humaine...
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